Mon passage dans la Royale

Bonjour et merci, Laurent.
Je vais tâcher de reprendre le fil...
En tout cas, cela fait tout drôle de relire, aujourd'hui, les lettres que le jeune fiancé envoyait, alors, à sa future épouse, au fil des escales (Via le Bureau Central Naval, Paris Naval).
Amitiés.

Xavier

Mon passage, dans la "Royale"; suite...



Depuis que je me suis couché, nous avons du naviguer très peu de temps.
En effet, à minuit, encore un peu dans les vaps ; je suis allé prendre mon quart.
Rien n'est venu entraver mon sommeil ; pas le moindre branle-bas...
Avant d'aller dormir, mon chouf me dis que nous sommes au mouillage, à l'ancre, sur la côte ouest de la Sardaigne.
Les consignes sont les suivantes ; rester aux ordres...
Jusquà 4 heures rien ne se passe ; autant dire que le temps s'écoule tout doucement.
Heureusement, nous avons eu l'autorisation d'ouvrir la porte étanche du PC ASM, qui nous permet d'accéder à l'aileron babord, de la passerelle.
Dehors, on ne voit rien, mais on peut fumer à l'air libre.
La relève arrive, enfin, à 4 heures, du matin.
Normalement, le branle-bas est à 06 heures.
Cela laisse peu de temps pour se recoucher, se rendormir et se relever.
Je décide, donc, d'aller prendre un jus, à la cambuse, puis de vaquer à ma toilette.
Ainsi, suis-je fin prêt, quand la sonnerie du clairon envahit les coursives et les postes.
Le petit déjeuner est vite expédié, et j'ai hâte d'entreprendre mon habituelle petite balade, dans les ouvres mortes de mon ER.
Hélas, nous sommes en plein coeur de l'hiver et le jour tarde à poindre ; impossible, donc, de se faire une idée de notre environnement.
Cependant, dans cette pénombre épaisse, j'ai comme une impression d'oppression ; comme si de proches montagnes nous entouraient.
Rien à voir, donc ; alors je gagne le poste 2, pour ranger mon hamac dans son bastingage et parler, un peu, avec les copains.
C'est à la cérémonie des couleurs, le jour s'étant enfin levé, que je découvre le paysage.
En fait, nous sommes dans une étroite petite crique, de l'île d'Asinara, entourée de falaises.
On pourrait s'imaginer, dans le cratère d'un haut volcan, envahi par la mer, sur un de ses côtés (un peu comme à Santorin, mais en bien plus petit.
L'appareillage suit les couleurs ; en route pour la côte Est, de la Corse.
Hélas, je ne verrai pas les bouches de Bonifacio ; je suis de quart, de 08 heures, à midi.
Pas de CASEX, pour une fois ; donc, pas de soum à traquer.
Après le repas, pas de corvée ; je suis donc libre de gagner mes 2 postes d'observation habituels, à savoir, les ailerons TB et BB, de la passerelle.



La mer est d'huile, et un pâle soleil d'hiver brille de ses faibles rayons...
Branle-bas de combat : école de tir ; n'étant pas concerné, je vais pouvoir profiter du spectacle.
Les charpentiers ont confectionné, et mettent à l'eau, une espèce de radeau, avec un petit mât, en haut duquel, flotte un fanion.
Nous nous éloignons de quelques miles, puis revenons vers lui, repartons, virvoltons, à des vitesses différentes ; alors que se déchaînent nos 6x57mm.
Ca, c'est un spectacle auxquels, nous autres, les DSM, ne sommes pas coûtumiers ; cloîtrés, que nous sommes habituellemnt, dans notre PC.
Fin d'exercice, et à priori, aucun coup au but (alors, les têtes plates...).
A ce moment, nous essuyons un coup de vent que rien ne laissait présager ; la mer commence à se creuser...
On me chasse de mon aileron, puis de l'autre ;  les armuriers installent les 2 mitrailleuses 12,7mm, à poste...
Et la valse reprend, mais, bien entendu ; nous passons bien plus près de la cible.
Cette fois, les résultats seront plus probants ; une fois le radeau à bord, on relèvera quelques impacts dans les bidons témoins.
Dépose des mitrailleuses ; je regagne mon poste, à TB (nous ne sommes pas loin de la côte Est de la Corse).
Nous reprenons notre navigation, cap au nord ; la mer est toujours d'un calme absolu.
C'est alors que nous rencontrons une véritable nappes de rouleaux de papier hygiénique ; nous en voyons des milliers défiler, le long de nos bords.
Que font-ils là ?...
Lassé de cette vue peu attractive, je me mets à contempler les montagnes, qui défilent lentement.
Entre temps, le vent s'est levé et la mer commence à se creuser.

Spoiler:

Je pensais que nous allions naviguer jusqu'à Bastia, et que je verrais, enfin la ville où habitaient mes cousins "Battesti".
Et bien, non ; juste avant l'entrée du golfe de Porto Vecchio, nous mettons cap au sud.
Un peu plus tard, un matelot fait irruption sur mon aileron et large la bouée "Silas" ; effectivement, le haut-parleur du bord vient d'annoncer "Un homme à la mer".
Moi qui me demandais à quoi pouvait bien servir ce système (on est DSM, ou pas) ; me voilà comblé.



Effectivement, à quelques encablures, à babord ; un homme avec une Mae-Vest orange, agite frénétiquement les Bras.
La mer a encore forci et le pauvre naufragé, monte et descend, comme un bouchon.



Et la bouée "Silas", me direz-vous ; et bien pas de trace, à croire qu'elle a coulé.
On met à l'eau le "Zodiac", qui aura vite fait d'aller repêcher notre homme et de le ramener à bord ; c'est notre plongeur de "Bidel" qui a bien voulu se payer un petit bain forcé ( en combinaison, quand même) et qui affiche un grand sourire...
Le Zodiac repart à la recherche de la fameuse bouée, mais, c'est un de nos veilleurs qui finira par la repérer, du haut de la paserelle.
Je n'attendrai pas son retour, car il est déjà l'heure de prendre mon quart...

Super Xavier

Bonjour les amis.


Je ne sais pas comment j'ai pu laisser s'écouler autant de mois, avant de revenir à la narration des heureux évènements que j'ai vécus, à bord de mon cher "Normand".

Suite, donc…

Le lendemain, après mon quart, de 06h00 à 08h00, je me rends sur mon aileron tribord habituel, pour effectuer mon petit tour d'horizon habituel et voir ce qu'il en est de l'état de la mer et du temps.
Et bien, le moins que l'on puisse dire ; c'est que l'environnent a bien changé, depuis la veille.
Nous avons repassé les Bouches de Bonifacio, d'est en ouest, pendant la nuit, et de ce côté-ci, un temps de chien a succédé, au calme plat de la veille.
Je m'en doutais, du reste, tant mon hamac s'est balancé, pendant mon sommeil.
Idem, pour mon fauteuil, à mon poste, au PC ASM.
Vite, je vais aller expédier mon petit déjeuner, et revenir avec mon "instamatic", s'il n'y a pas de "poste de lavage".
Bien vu, il n'y en a pas pour ceux du pont ; or, comme le mien se trouve au niveau des TLT et des valises…
Bien emmitouflé, me voilà paré pour affronter les embruns et parcourir les hauts, pour profiter du spectacle.
J'adore ces moments-là…
Et bien, justement, du spectacle ; il y en a.
Nous sommes en plein exercice de navigation en groupe : ligne de file, ligne de front, changements de bordes, etc...
Un vrai festival.
Par une mer pareille et avec une visibilité aussi médiocre ; c'est vraiment du sport.
En fait, nous ne sommes plus que les 3 ER, de notre "Division", à manœuvrer ; le reste de la flotte nous ayant quitté.
Restent donc, le "Béarnais", le "Vendéen", et notre "Normand", chef de "Division.

Spoiler:

Quand l'exercice prend fin, nous sommes déjà, au large de Saint Florent ; en route directe pour Toulon.
Pas d'exercice, en vue, et la mer se calme doucement.
N'est-ce pas l'occasion de reprendre, un peu, l'air, en flânant sur le pont redevenu fréquentable…
C'est, donc, ce que je fais, profitant de l'occasion pour prendre quelques photos.

Spoiler:

La nuit passe et voilà Toulon.
La rade est vite "avalée" et nous rendons les honneurs au "Jean-Bart", au "Suffren" (rebaptisé "Océan") et au "Montcalm", avant de nous amarrer au quai "Noël", à notre emplacement habituel.
"Dégagez" !
Et bien voilà, l'exercice "LAVEZZI" est terminé.

Spoiler:

Xavier MONEL

 

j'ai un peu de mal avec certains termes de MN  : je suppose que ER = escorteur rapide …

c'est quoi un "poste de lavage." ou as-tu voulu dire poste d'ancrage (relever l'ancre)…

Merci Xavier, ton compte-rendu se boit comme du petit lait.
J'ai rapporté mon voyage ennuyeux 56 par 72 lettres que j'avais écrites à mes parents mais cela est loin des précisions multiples de ta narration.
Bravo Maître

Bonjour René

ER > Oui c'est bien cela : ER veut dire Escorteur Rapide.

Poste de lavage > c'était mon poste d'entretien.
Pour certains de mes collègues DSM, c'était au PC ASM ; pour moi, c'était sur le pont (voir ci-dessous), avec les torpilleurs
Amitiés.

Xavier

PS : Plutôt que de finir QM2 DSM ; j'aurais pu finir QM2 * Serpilleur * ".
Nous utilisions plutôt la serpillère *, mais aussi, le balai, le balai-brosse, ou le faubert...

Bonjour Carlo.

En ce qui me concerne ; c'était ma même chose, que pour toi.
J'étais fiancé et, chaque jour, si je le pouvais ; j'écrivais, à celle qui est devenue ma femme, une lettre, dans laquelle je lui racontais tous les détails de ma vie de marin.
Alors, maintenant ; je peux relire, tout cela, dans ce qui me sert d'aide-mémoire.
En plus ; cela me rajeunit de pas mal de dizaines d'années.
Amitiés.

Xavier

Allo Xavier.

Je constate que je ferais mieux de relire ce que j'écris car cet ordinateur remplace des mots par d'autres selon son humeur.
Il faut évidemment lire:   J'ai rapporté de mon voyage en '56 par 72 lettres......

Avec mes excuses.......

Merci pour les réponses Xavier

Nous appelions cela corvée nettoyage de 0830 à 10.00   (distribuée à 08.30 au rassemblement plage arrière au quart descendant ) par le coxon ou coxwain un s/ off équivalent kaki (adjudant de corps)

René , à la Marine Nationale, c'est le "Bidelle"!

Bidel à la MN =  ou flic …

…/…

Nous voilà, donc, revenus à notre port d'attache ; "LAVEZZI 1" est terminé.
Depuis les appontements du quai "Noël", nous partons, tous les jours, pour effectuer des exercices d'entraînement et de routine, entre la côte et le "îles du levant".
C'est ce que nous appelons la "Croisière des Salins" (Salins d'Hyères) ; ce qui est, en fait, le centre d'entraînement de la Flotte, à Toulon.
Le départ se situe, aux alentours de 06h00 heures, du matin ; le retour, vers 20h00.
Bref, c'est la routine : CASEX, RAM, SECURITE, CANNONAGE, etc... ; pas de quoi fouetter un chat, en fait.
Au cours d'une de ces expéditions, nous apprenons, par "Radio Coursive", que notre cher "Normand" va quitter Toulon, pour Lorient, où il sera radoubé.
Stupeur dans les postes.
Et oui, notre ER va partir, en grand carénage, pour le port du Ponant ; c'est là, que passent presque tous les ER et les AE.
La première question qui se pose, à moi, est la suivante : vais-je rester, à bord, ou être débarqué ?
Si j'ai choisi la Marine, comme appelé ; ce n'est pas pour rester croupir, en "cale sèche", pendant 6 mois, mais bien, pour naviguer.
Cette question me taraude l'esprit, pendant quelques semaines : aller à Lorient, et faire une croix sur mes visite, à ma fiancée (ma femme, maintenant), et sur la navigation, ou bien solliciter un autre embarquement, à Toulon (ou ailleurs).
La question va être tranchée, au bout de 3 semaines.
Je suis convoqué, au BM (Bureau des Mouvements), et le secrétaire m'annonce que je suis affecté, dès le lendemain matin, sur le D636 "Tartu".
Il est à sec, au bassin "Vauban", et c'est là que je devrai y déposer mon sac, demain matin, à 09h00.
Ok, c'est à Toulon, à 4 heures de train, de Lyon ; tout est, donc, pour le mieux.
En fin d'après-midi, comme je suis de "sortie" ; je me décide à me rendre au "bassin de radoub" de "Vauban", où se trouve mon nouveau navire.
Histoire de faire connaissance, quoi.
Je pars, à pied, contourne la darse "Missiessy", et arrive, sur place.
Et le voilà, là, au fond de son "trou", tout sale, tout rouillé, avec une cabane en tôle, sur la plage AR, etc...
Bref, pas ragoutant, du tout.
Mais, dès le premier abord, et malgré tout cela ; du premier coup d'œil, il me plaît.
Oui, ce nouveau bâtiment ; je l'aime déjà…



Mais Toi, mon cher "Normand" ; ne te suis-je pas, déjà, infidèle ?
Mais non, ainsi en va la vie ; une autre vie commence, pour toi, comme pour moi.
Nous n'y pouvons rien ; ni Toi, ni moi.
Et ton souvenir me sera, toujours, cher ; tu ne quitteras, jamais, mes pensées.
Alors, je retourne, à ton bord, pour une dernière nuit ; et, au passage, je prends une dernière photo, de toi, quai "Noël".



Et puis, ce soir je suis allé faire mes adieux, au LV "Méchet", pour qui j'ai eu tant de respect et de reconnaissance.
Ce fut un as de la DSM ; il m'a tellement appris, à ce sujet (en toute modestie, je pense que je fus bon élève).
Il finit Amiral et Préfet Maritime de Cherbourg.



C'est lui qui m'a toujours "poussé" (sur le Normand), dès le début, à monter plus haut ; et c'est, grâce à lui, que je dois d'avoir été promu QM2, avant la fin de mon Service National, alors que les autres, de ma promotion, ne l'ont été, qu'à leur libération.
Quelle joie, ce fut, pour moi.
Alors, grand merci, Amiral.

Xavier MONEL