voici un article que je trouve intéressant
je partage:
Tramp au temps des docks flottants
Pour remettre en état son cargo, le héros de Tramp le conduit aux docks flottants de Petit-Couronne. Retour sur l’histoire insolite de la réparation navale à Rouen.
Petit-Couronne, en aval de Rouen. C’est vers ce bassin de carénage que le capitaine Yann Calec, héros de la série Tramp, fait remorquer son cargo pour lui donner une seconde jeunesse. Aujourd’hui, la darse de radoub est désaffectée et ne sert plus que de refuge aux oiseaux, grands cormorans, foulques, poules d’eau, mouettes rieuses et autres goélands argentés, qui viennent y hiverner à l’abri des chasseurs et des courants de la Seine. Mais dans les années 50, les docks flottants (1) de Petit-Couronne sont en pleine activité, fournissant alors du travail à nombre de chaudronniers, tuyauteurs, mécaniciens et électriciens.
La réparation navale s’y est développée aux lendemains de la Première guerre mondiale. A l’époque, les responsables de la Chambre de commerce de Rouen ont profité de l’obtention au titre des réparations de guerre d’un dock flottant de 4.200 tonnes en provenance du port de Lübeck, livré par l’Allemagne en compensation du sabordage de sa flotte le 21 juin 1919 dans la base écossaise de Scapa Flow, dans les îles Orcades. « L’emploi de cette technique de mise à sec des navires, un temps contesté pour Rouen, fait rapidement ses preuves », souligne l’universitaire Michel Croguennec, aujourd’hui responsable des archives municipales et du patrimoine historique de la ville de Petit-Quevilly (2). Du coup, la Chambre de commerce de Rouen décide l’acquisition de trois docks supplémentaires pour répondre à la demande, un autre de 4.200 tonnes et deux de 8.000 tonnes, qu’elle installe dans une darse aménagée sur les prairies de Petit-Couronne par l’ingénieur Paul Barillon. Les navires et les pétroliers fréquentant le port de Rouen sont ainsi assurés d’y trouver l’outillage nécessaire à leur remise en état en cas d’avarie. Entre les deux guerres, un important secteur de réparation vient ainsi renforcer l’activité de construction navale rouennaise et les docks flottants de Petit-Couronne sont utilisés par les Chantiers de Normandie, du Trait et de Saint-Nazaire. Endommagés pendant les combats de la Libération, ils reprendront du service dès 1950 et connaîtront encore dix années d’intense activité avant de voir les commandes commencer à diminuer. La baisse de fréquentation du site à partir de 1960 et l’amélioration de la qualité des navires, qui tombent de moins en moins souvent en panne, conduiront à la vente de deux des docks flottants. Un troisième sera envoyé à la ferraille en 1986 suite à la baisse du trafic du port, à l’accroissement de la concurrence dans le secteur de la réparation navale et à la fermeture des Chantiers de Normandie. Devenue trop coûteuse à entretenir, la darse de Petit-Couronne sera définitivement abandonnée. Et il ne subsiste plus désormais qu’un seul engin de mise à sec des navires, installé depuis 1989 bien à l’abri dans le bassin de Saint-Gervais, presque au cœur de Rouen, où il assure toujours, plus de 70 ans après son entrée en service, des arrêts techniques programmés, des interventions d’urgence, des remplacements de pièces ou des transformations de bâtiments jusqu’à 10.000 tonnes de poids lège.
La part grandissante de l’Asie
L’histoire de la réparation de navires dans la région rouennaise est emblématique des difficultés rencontrées par l’ensemble du secteur de la construction navale, lui-même confronté au déclin de la marine marchande depuis son âge d’or des années 50. Longtemps l’apanage des nations occidentales, la construction navale civile s’est d’abord déplacée vers le Japon au début des années 60, puis vers la Corée dans les années 80. Maintenant, c’est la Chine qui récupère une part grandissante du gâteau, à la faveur de ses faibles coûts de main d’œuvre. L’Asie produit aujourd’hui 80% des tankers et des porte-conteneurs, les chantiers italiens, scandinaves ou français ne conservant que les paquebots de croisière et les navires spécialisés. Certes, l’année 2011 a été marquée par un redémarrage des prises de commandes en Europe. « Toutefois, cette reprise a peu bénéficié aux acteurs du marché français », constate le cabinet d’audit PwC dans son baromètre annuel (3), publié fin novembre dernier à l’occasion des Assises de l’économie maritime et du littoral. De fait, la construction navale française fait face sur le long terme à une contraction de ses carnets de commandes, poursuit l’étude. Le constat n’est pas nouveau. Fin 2008, il avait déjà conduit l’Etat à prendre, via le Fonds stratégique d’investissement, une minorité de blocage à la faveur d’une recapitalisation dans la société propriétaire des chantiers de Saint-Nazaire et de Lorient, passée deux ans plus tôt aux mains du groupe coréen STX suite au rachat par ce dernier du norvégien Aker Yards.
La réparation navale est tout aussi sensible aux aléas des prises de commande et de la conjoncture. Cette activité, qui a déjà subi des périodes successives de crise et de restructuration, notamment dans les années 80, traverse actuellement une nouvelle phase délicate qu’illustrent les difficultés du leader de la filière, le chantier naval brestois Sobrena, en redressement judiciaire.
Pour faire face aux enjeux capacitaires des moyens de production, les acteurs d’un secteur – qui fait encore vivre quelque 40 000 personnes, dont 20 000 emplois directs – n’ont donc d’autre choix que de rechercher un positionnement différencié tout en s’appuyant sur une stratégie internationale. La construction navale militaire représente un potentiel de croissance important, mais qui reste très concurrentiel. Alors, beaucoup préfèrent se tourner aujourd’hui vers les énergies marines renouvelables qu’ils espèrent voir s’avérer un domaine d’application crédible de leur savoir-faire maritime.
(1) Structures métalliques flottantes en forme de « U » munies de ballasts permettant leur immersion pour faire entrer des bâtiments que l’on peut ainsi réparer dans des lieux ne disposant pas de cale sèche.
(2) Les appareils de radoub dans les ports haut-normands aux XIXe et XXe siècles, Michel Croguennec, in Les ports normands : un modèle ? Actes du colloque des 28 et 29 mai 1998, Université de Rouen.
(3) Baromètre 2011 de l’économie maritime, Pwc,
http://www.pwc.fr/barometre-de-leconomie-maritime1.html.