voila j ai retrouver un reportage du debut de la mission
À bord du « Léopold Ier »
De notre envoyé spécial
Deux minutes avant le lever, à 5 h 58. Quelques secondes encore, allongé dans la couchette, pour tendre l’oreille vers le glissement puissant mais paisible de l’eau contre la coque. Pas le moindre tangage, et pourtant toute cette nuit, 3.300 tonnes d’acier ont fendu la mer sans ciller. Presque à portée de bras, le roulement de l’eau rassure et égrène les miles parcourus… Puis d’un coup, les haut-parleurs grésillent : six heures, l’appel général. Le saut du lit pour plus de cent hommes, pour tous ceux qui, comme moi, n’étaient pas de quart.
Logé sous la ligne de flottaison, presque troglodyte dans la niche d’un triple lit superposé, on se réveille surpris d’avoir dormi tout son saoul à bord d’un navire de guerre. Mais la routine s’impose : une mini-douche, s’habiller en cabine étroite – chance : toujours pas de roulis… - avant de gagner les coursives puis tenter de retrouver son chemin.
Bienvenue à bord du Léopold Ier, frégate de 124 mètres, orgueil de la Marine belge, qui prendra ce samedi soir le commandement de la flotte de la Finul déployée au large du Liban… Perdez-vous dans ses couloirs et vous remarquerez que cette boîte à pilchards est une ville authentique, une Naples flottante sur pas moins de sept niveaux : entre le bosco de proue qui recèle les cordes d’amarrage, et le local destiné aux déchets recyclables logé en poupe, où diable se dissimule le mess susceptible d’accueillir un civil ébouriffé ? Pour le novice, tous les escaliers, toutes les coursives se ressemblent, raison pour laquelle l’équipage a apposé des plaques de rues sur les axes principaux. Nivelles est la ville marraine du navire ? Vous vous surprenez dès lors à emprunter la « chaussée de Wavre » après le « carrefour de Walhain » pour rejoindre ensuite l’« avenue de la Collégiale », descendre une volée d’escaliers, dépasser le Titanic Bar (le bar des sous-off) pour ouvrir la porte du… Flûte, c’est la boulangerie, je suis un pont trop bas.
Oui, une boulangerie. Faites le compte : 145 hommes d’équipage, plus un état-major de 23 hommes pour trois mois de mission Finul au large des côtes du Liban, cela fait des tripotées d’estomacs. Ce navire ne sera de retour à Zeebrugge que le 16 juin, et il lui faut nourrir l’équipage six fois par jour, du déjeuner jusqu’au repas de minuit – en nocturne, les hommes de quart ont eux aussi le droit de se nourrir.
Dans ces conditions, une large cuisine centrale est installée sur le pont principal, cependant que les soutes recèlent leurs autres mystères : une vaste blanchisserie, deux postes de sécurité – l’équivalent de mini-casernes de pompiers –, un centre de fitness avec haltères enrobés de caoutchouc (pour ne pas réveiller ceux qui dorment au pont inférieur…) ou encore, mixité de l’armée oblige, ces cabines « Damar », réservées aux dames de la Marine. Cela fait partie des curiosités du bord, à l’instar du sas de décontamination NBC squatté par les plongeurs, ou du canon de 76 mm. Une ville, je vous dis !
Impossible de manger, de marcher ou de musarder dans ce bâtiment sans être sans cesse interloqué. Vous pensiez qu’en pleine mer, battue d’embruns, une frégate serait humide, que le maintien de sa propreté serait un problème constant ? Le navire est en permanente surpression ; chaque fois qu’une porte extérieure s’ouvre, de l’air se libère. Résultat : un navire parfaitement sec, la moindre des qualités nécessaires lorsqu’on est farci d’électronique. Car il ne faudrait pas oublier la finalité de ce navire. Alors que ronronnent dans son antre deux puissantes turbines Rolls Royce – capables de propulser le navire à une vitesse de 30 nœuds –, le Léopold Ier est un pur bâtiment militaire avec, sur le pont principal, sa « war room » et, à tribord, ses missiles Sea Sparrow. La croisière ne s’amuse pas forcément.
Pourtant, ce n’est pas vraiment là que se jouerait une éventuelle partie de combat naval : en cas de grabuge, tout ce petit monde descend de deux étages, sur le pont J où est installé le saint des saints, le centre d’information de combat (CIC). Deux lignes d’écrans électroniques bigarrés : un premier rang décrypte les signaux électroniques, puis, alignés sur un second rang d’écrans, le capitaine et ses adjoints réagissent, commandent d’éventuelles ripostes dans les airs, en surface, sous la mer. Lorsque vous êtes plongé à cet endroit, en connexion avec la passerelle et l’officier de quart mais le nez rivé aux écrans, il n’y a plus d’embruns, plus de mouettes, plus d’iode : le monde est froid et militaire.
Comme si tout cela n’était pas assez compliqué, le Léopold Ier y ajoute pour cette mission une subtilité : il y a deux capitaines à bord. Le capitaine de frégate Jean-Marc Claus, originaire de Gembloux, est seul maître à bord, sauf pour l’état-major Finul qu’il héberge, commandé par le capitaine de vaisseau Jean-Thierry Pynoo, de Waregem. Lui commande la flottille de la Finul avec le titre d’amiral. N’essayez pas de connaître l’âge du capitaine : lequel ? Revenons au niveau de l’eau et des matelots. Si le Léopold Ier est la petite Suisse, on suppose dès lors qu’il n’y a pas moyen d’en griller une, surtout pas sous les silos à torpilles. Faux : fumez à l’intérieur est interdit, comme dans tout bâtiment public. Mais au dehors, vos poumons vous appartiennent. C’est après le coucher du soleil que l’interdiction se généralise. Et encore : jusqu’à 22 heures, les accros à la nicotine se retrouvent sur le pont d’atterrissage des hélicos. Moins militaire qu’on ne pourrait le craindre. Mais – et c’est l’autre surprise de taille – encore faut-il avoir le temps de la fumer, cette cigarette. Sur papier, le marin semble vivre hors du temps : dix jours pour se déplacer de Zeebrugge vers le Liban, puis trois mois de croisière entre Limassol et Beyrouth, enfin dix jours à nouveau pour le retour, on payerait presque pour une cabine avec vue ! C’est oublier qu’outre les missions militaires ONU que va remplir le Léopold Ier (cinq à six interpellations de bateau chaque jour, sans compter environ un bateau par semaine qu’il faudra escorter manu militari jusqu’aux eaux libanaises), l’équipage vit au rythme d’exercices intensifs : manœuvres, sauvetages, étalonnage des instruments, exercices d’incendie. Et ces activités sont assumées par une population qui vit de quart en quart : « On tourne en suivant des quarts de six heures, explique le premier maître Pascal Lefebvre, Brugeois d’adoption originaire du grand Namur. Six heures de repos, c’est court : il faut à la fois manger, se détendre et dormir. Vous pouvez ne pas dormir, bien sûr, mais alors vous traînez votre fatigue jusqu’au quart suivant. Et pour rattraper ce sommeil perdu, ce n’est pas évident… »
Ce matin-là, le feu a pris en poupe, dans le local de tri des déchets. C’est comme une ville, on vous l’a dit : les verres ici, les cartons là, le PVC dans les sacs bleus… Un très bon endroit pour un exercice d’incendie impromptu. Sauf que lorsque le feu et les fumées se dégagent dans un bâtiment de guerre, pas question de vider l’immeuble ni d’appeler le 112 : il faut rester à bord, compartimenter le navire, circonscrire soi-même le sinistre, organiser l’évacuation des fumées.
Impressionnant. Selon le quartier où s’est déclenché l’incendie, chacun peut-être appelé en intervention, en sus de ses fonctions militaires principales. Et l’efficacité est d’autant plus de rigueur que, lorsqu’on mouille au large de Beyrouth, l’hôpital des grands brûlés de Neder-over-Heembeek vous semble soudain bien loin. Alors, où trouveraient-ils le temps de fréquenter la vidéothèque (si !), l’internet café ou le vélo elliptique, ces matelots ?
Cet article a été publié le février 28, 2009 à 5:50 et est classé dans Géneral, Relations Liban-Belgique. Taggé: amiral, équipage, Belge, Belgique, BELUFIL, Beyrouth, commande, FINUL, Fregate Leopold Ier, Jean-Marc Claus, Jean-Thierry Pynoo, Léopold Ier, Liban, Marine, Nations Unies, officier, ONU, Reportage, Zeebrugge.